En 1066, la mort d’Édouard le Confesseur, roi d’Angleterre sans héritier direct, provoque une lutte acharnée pour le trône. Le duc de Normandie, Guillaume, que le roi défunt aurait désigné comme successeur, voit ce choix bafoué lorsque Harold Godwinson, un noble anglo-saxon, s’empare du pouvoir. Pourtant, selon la célèbre Tapisserie de Bayeux, Harold aurait prêté serment à Guillaume en Normandie, promettant de ne pas revendiquer la couronne…
Furieux, Guillaume lance une expédition militaire pour faire valoir ses droits. Il débarque en Angleterre le 29 septembre 1066, et remporte une victoire décisive à la bataille d’Hastings le 14 octobre. Harold y est tué, et les troupes anglo-saxonnes battent en retraite. Guillaume est couronné roi d’Angleterre le jour de Noël 1066 : il devient dès lors Guillaume le Conquérant.
Une langue française à la cour d’Angleterre
Avec Guillaume arrivent à Londres nobles, ducs et comtes normands. Le français, langue de cour et d’administration, devient la langue dominante en Angleterre pour plus de trois siècles. À cette époque, aucune langue officielle n’était encore établie sur l’île, autrefois peuplée par les tribus anglo-germaniques des Angles, d’où le nom « England ».
Jusqu’au XIVe siècle, les enfants de la noblesse anglaise apprennent le « françois ». Dans ses Contes de Canterbury (vers 1380), Geoffrey Chaucer se moque gentiment d’une prieure parlant un français raffiné… du moins en apparence :
“Elle parlait français couramment,
le français qu’on apprend à Stratford-atte-Bow…”
Cette ville proche de Londres était un centre d’apprentissage du français anglo-normand. Durant cette période, de nombreux écrits scientifiques, religieux et juridiques sont rédigés en français, ce qui explique l’importante influence du vocabulaire français dans la langue anglaise moderne.
Royautés croisées et conflits dynastiques
Les liens entre la France et l’Angleterre, bien qu’émaillés de guerres, s’enracinent dans les mariages royaux. Plusieurs reines anglaises étaient d’origine française, et jusqu’à Richard II, les rois d’Angleterre parlaient exclusivement français.
En 1328, la mort de Charles IV de France, sans héritier, relance une crise de succession. Édouard III d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère, revendique la couronne française. Mais la loi salique, qui exclut les femmes de la transmission du trône, favorise Philippe VI de Valois. Humilié, Édouard III ajoute les fleurs de lys à ses armoiries aux côtés des lions anglais, réaffirmant ses prétentions.
Déjà duc d’Aquitaine par héritage, Édouard est vassal du roi de France, une position qu’il juge indigne. Lorsque son duché est confisqué en 1337, il déclare la guerre. C’est le début de la Guerre de Cent Ans, une succession de batailles, trêves et traités, qui s’étend jusqu’en 1453.
De la guerre au sentiment national
Au fil du conflit, la France reprend ses territoires. Le roi Jean II le Bon est même fait prisonnier à Bordeaux, et pour payer sa rançon, la première monnaie appelée « franc » est frappée en 1356. Elle représente le roi à cheval, prêt à combattre – symbole de libération : « Francorum Rex ».
Le 17 juillet 1453, la victoire française à Castillon scelle la fin de la guerre. Les Anglais sont chassés du territoire, à l’exception de Calais qu’ils conserveront jusqu’en 1558. Cette défaite marque la fin du Moyen Âge et le début des identités nationales en France comme en Angleterre.
L’anglais prend sa revanche… linguistique
Dès 1361, sentant la couronne de France hors de portée, Édouard III officialise l’usage de l’anglais avec le Statute of Pleading, qui impose la langue dans les tribunaux. Le français reste toutefois en usage dans les élites pendant encore plusieurs décennies.
Ironiquement, la devise des chevaliers anglais reste en français :
« Honi soit qui mal y pense », avec un seul « n ».
Au fil des siècles, l’anglais intègre des milliers de mots français, simplifie sa grammaire et sa syntaxe, et devient peu à peu la langue universelle que nous connaissons aujourd’hui.
Note :
- Les trois lions des armoiries anglaises trouvent leur origine en France : deux de Normandie (Guillaume le Conquérant) et un d’Aquitaine (Henri II Plantagenêt).
- Henri II était fils du duc d’Anjou, surnommé « Plantagenêt » en raison du genêt qu’il portait à son chapeau, et mari d’Aliénor d’Aquitaine.