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La vérité selon l’historien Marcel Trudel

Pour une vision vivante et critique du passé

Nombreux sont les historiens qui revendiquent l’objectivité. Pourtant, à partir des mêmes faits, ils produisent des récits divergents. Pourquoi ? Parce que l’histoire n’est jamais un miroir neutre du passé : elle est un exercice de sélection, d’interprétation et de cadrage. À l’analyse politique d’un historien répondra une lecture sociale d’un autre ; à une approche économique, une perspective culturelle. Même les plus rigoureux ne peuvent éviter l’interprétation, inhérente à toute démarche historique.

Prenons l’exemple bien connu des écoles historiographiques québécoises. Celle de Montréal — avec Frégault, Brunet, Séguin — attribuait les retards socioéconomiques du Québec à la Conquête de 1760. Celle de Québec — Trudel, Ouellet, Hamelin — y voyait plutôt les effets d’un conservatisme interne, lié notamment au rôle du clergé. Plus récemment, d’autres historiens ont contesté l’idée même d’un retard. Qui a raison ? Peut-être tous, à leur manière.

Pourquoi, comme le suggérait déjà Ronald Rudin, ne pas accepter pleinement la dimension polémique de l’historiographie ? Le grand public, souvent, résiste à cette idée. Il veut croire en une histoire figée, objective, stabilisée. Et les historiens eux-mêmes, par réflexe académique, se drapent dans le manteau de la neutralité. Pourtant, l’histoire n’est ni neutre ni immuable. Et c’est précisément ce débat permanent qui en fait une discipline vivante, stimulante, parfois même provocante.

L’histoire passionne justement parce qu’elle est sans cesse revisitée. Ainsi, la figure de Champlain continue de faire l’actualité grâce à la relecture critique qu’en propose une nouvelle génération d’historiens comme Mathieu d’Avignon. Le passé ne nous parle que parce que nous continuons à l’interroger. Bienvenue donc aux iconoclastes, aux esprits critiques, qui dépoussièrent même les récits les plus glorieux de notre mémoire collective. On n’a pas besoin de partager toutes leurs conclusions pour reconnaître la fécondité de leur démarche.

À ce titre, Marcel Trudel demeure un modèle d’irrévérence éclairée. À plus de 90 ans, il poursuivait encore son œuvre critique, comme en témoigne la suite de Mythes et réalités dans l’histoire du Québec. Bien qu’il ait affirmé dans une entrevue de 1981 ne pas s’intéresser à « la grande philosophie de l’histoire » et vouloir demeurer « complètement neutre », son travail est traversé de prises de position marquées — parfois même provocatrices. Pour Trudel, la Conquête fut bénéfique ; l’union des Canadas, justifiée. Il ne cache pas sa volonté de secouer les dogmes historiographiques, et c’est ce qui donne à ses textes leur vigueur.

Trudel n’hésite pas, par exemple, à contester les revendications territoriales des Mohawks en les qualifiant de fondées sur une « histoire falsifiée ». À ses yeux, l’archéologie et la cartographie des XVIe et XVIIe siècles montrent que leurs ancêtres se trouvaient principalement autour de l’Hudson, non du Saint-Laurent. Sur d’autres questions, comme l’imposition ou l’épopée de Dollard des Ormeaux, il démonte point par point les exagérations nationalistes, souvent avec humour, toujours avec une clarté stylistique remarquable.

Mais Trudel pousse parfois la critique jusqu’à la caricature. Lorsqu’il accuse les Garneau, Groulx ou Mgr Pâquet de racisme, il le fait sans toujours nuancer son propos ni contextualiser les discours de leur époque. En niant les multiples formes de nationalismes canadiens (y compris anglophones), il donne l’illusion que seuls les francophones en furent porteurs. Des ouvrages récents, comme ceux de Pierre-Luc Bégin (Loyalisme et fanatisme) ou Patrick Bourgeois (Quebec Bashing), corrigent ce déséquilibre. L’autocritique est saine, mais elle peut devenir lassante lorsqu’elle oublie l’altérité.

Cela dit, on pardonne aisément ces excès à Trudel, tant son style est limpide, précis, et même réjouissant. Ses textes, courts mais denses, évitent l’enflure et respirent une pédagogie du débat. Ils offrent une magnifique introduction à une histoire qui ne prétend pas dire le dernier mot, mais à en susciter d’autres.

Au Québec, on répète que nous vivons à l’ère des opinions. Pourquoi ne pas canaliser ce trait culturel pour redonner du souffle à l’enseignement de l’histoire, au secondaire comme au collégial ? Une approche historiographique qui valorise le débat, les interprétations divergentes et la capacité à argumenter peut transformer la classe en un véritable laboratoire d’idées. Loin de fragiliser le savoir historique, ce pluralisme en est la force.

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